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                                                           Clément

Rencontré lors de mes études de philosophie à l’université du Mirail à Toulouse en 2009



Il s'appelle Clément.

Aujourd'hui je le reconnaîtrais immédiatement.

Un peu plus petit que moi. Très brun. Petits yeux verts. Très réservé.

Les mains agrippées aux anses de son sac à dos.

Étudiant.

Le matin de temps en temps, très tôt avant les cours, il partait marcher à la campagne.

Il ne devait pas avoir besoin de beaucoup de sommeil.
Petits yeux verts enfoncés.


Il a fallu plus d’un an avant qu’on ne se parle  mais on se saluait toujours.


Un jour dans les espaces verts de l’université, j'ai cru l’apercevoir.


Je me suis mis à le suivre.


Il partait s’isoler. Je me suis assis sur un banc.

De là je pouvais le voir s’éloigner.

 

Il traverse la longue étendue d'herbe.

Vide parce que trop éloignée des bâtiments.

La pluie menace.

 

Il s'éloigne.

Je ne le vois plus très bien.

Je ne m'avance pas.

Notre éloignement nous préserve tous les deux :

-je ne suis pas en train de l'espionner

-il est assez loin pour faire ce qu'il a à faire.

 

Il arrive face aux arbres qui délimitent cette fausse prairie.

Il  s'arrête et pose son sac.

Il reste penché sur son sac.

Se redresse en reculant de quelques pas.

Il agite très fort ses bras pour secouer le tissu qu'il vient de sortir de son sac.

Il s'accroupit en le disposant au sol.

Il se relève et marche vers son sac.

Il bouge un peu. Reste sur place. Retourne à son tissu, se met à genoux. Il reste dans cette position...

Puis se penche en avant.     Se redresse.      Se penche encore en avant...  se relève......

Je me lève. Je pars.


"Esprits-libres", "Métaphysique", "Logique", "Raison", "Doute"...

 

Nous entendions ces mots tous le jours en cours et je me demandais comment ça devait sonner pour lui.

 

J'ai passé l'année à me faire toutes sortes de scenarii ;

À chaque fois que je le voyais ;

Il se formait un imaginaire autour de lui.
Pourquoi venir étudier les différentes preuves de l’existence d’un Dieu froidement démontrée par la logique ou la raison?
Comment faisait-il le lien avec sa croyance?
Je me disais que la métaphysique avait produit tant de définitions du divin. Peut-être qu’il les réunissait toutes derrière le visage de son Dieu à lui.

 


À mesure que je questionnais sa présence, je perdais les raisons de ma propre présence.

 

 

Puis je ne l'ai pas revu pendant un an.

Il ne s'est pas réinscrit en deuxième année.


Le jour où on s’est revu, on s’est immédiatement parlé.


Maintenant étudiant au conservatoire de musique.

Il me parle de ce qui l'intéresse.

On échange quelques centres d'intérêts communs.

 


Je lui parle de ma sculpture que j’ai dans mon sac.

La discussion faisant que je savais qu’il l’accepterait.

Très intéressé, il prend mon objet.

 

 

Il l'a gardé plus d'un an. Je sais qu'il a déménagé durant cette période.

Mais il avait toujours la sculpture, qui avait donc pénétré deux appartements différents.

C'est dans la rue que je l'ai revu. Nous nous sommes immédiatement reconnus.

Je me souviens qu'il a dit:

"j'ai toujours ton objet" et que cette appellation m'avait marquée.

Il avait "mon objet" et voulais me le rendre.

Ne l'ayant pas sur lui...

Il me laisse une adresse mail.


Quelques mois passent avant que nous ne convenions d’un RDV.

Nous devons nous rencontrer devant le conservatoire en début d’après-midi.

J'arrive, il est là.

Il me salue

Il quitte son sac pour y prendre «mon objet».

J'ouvre moi-même mon sac et y place l'objet qu'il me tend.

Je lui dis que rien ne le forçait à me rendre l'objet.

 


Il m’invite à le suivre.
Dans la cours puis dans les bâtiments ;

Par des escaliers ;

puis dans d’étroits couloirs, sans lumière.

Il allume, c’est là.

Il ouvre la porte.

Je rentre, il me suit.

Il referme la porte.

Je me souviens du choc de mes talons et du tremblement des milliers de chocs quand j’ai posé mon sac au sol.

 

 

Inutile de décrire le silence :

Il venait de me faire entrer dans une salle parfaitement insonorisée.

 

Je me souviens de sa présence.

Il sort un CD de son sac, il a quelque chose à me faire écouter.

Il y a un lecteur CD avec un ampli et des enceintes.

C'est un morceau qu'il a composé et enregistré.

Il met son CD dans le lecteur, règle le volume et éteint la lumière.

Ça commence.

Qu'était-il en train de faire?

On était réunis dans cette pièce parce qu'il avait quelque chose à me donner.

Ici et maintenant, je me souviens de ce qui se révélait.

Il avait donné une qualité à mon objet. Par cet échange , il l'avait chargé de quelque chose de nouveau.

Il m'avait rendu mon objet et par cet acte, il l'avait rendu mien.

Maintenant il me donnait quelque chose, en plus, en échange ou en plus, quelque chose à lui qu'il me partageait de façon intime.

Ce que j'avais à faire était de prendre ce qu'il me donnait et de jouer avec à mon tour.

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